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lundi, 30 avril 2007

Tournedent

Je venais d'avoir 16 ans et je mordais la vie à pleines dents, c'était le début de l'été. J'étais en première, à la fin de l'année scolaire. On avait fait une sortie scolaire de classe le jeudi avant la sortie. Pas grand-chose. Juste une petite ballade jusqu'à un parc animalier avec des animaux sauvages en liberté, des sangliers, des biches. Je me souviens encore avoir vu quelques sangliers et marcassins courir parallèlement au chemin. Avoir vu des biches en liberté, en avoir caressée une. Et je me souviens aussi que ce jour là j'avais un pique-nique dans mon sac. Je ne sais plus si la pomme était dans mon sac, ou si on me la offerte. J'ai croqué dedans avec délectation. Je sentais le jus sortir de la pomme et humidifier ma langue en coulant sur mes dents. J'ai le souvenir de cette pomme, comme la dernière pomme que j'ai croquée à pleines dents.

La sortie de classe s'était bien passée. Les parents ont toujours peur pour les sorties de classe, ils n'ont jamais peur pour les sorties familiales, car quand on sort avec ses parents, on est forcément en sécurité, ou bien ?

C'était en 1967. A la fin de l'année scolaire.... Maintenant les vacances étaient arrivées. C'était le premier samedi des vacances. On cherchait des meubles pour ma chambre, parce que ma correspondante allemande allait venir à la fin du mois de juillet, et ma chambre que j'allais prêter à ma correspondante en dormant moi-même sur un lit de camp n'était pas "présentable". Mes parents faisaient tous les magasins de meubles de la région, pour trouver des meubles beaux, de bonne qualité, mais pas trop chers. Mon père avait vu une publicité  pour un magasin qui était à la campagne dans le Pas-de-Calais, En plus, juste à coté il y avait une belle forêt, la forêt de Tournehem. On irait voir les meubles et on irait dans la forêt, jolie journée en perspective. On regarda les meubles mais on ne trouva rien qui fut à la fois de mon goût (j'étais très moderne à l'époque) et de la qualité que souhaitait mon père.

On sortit, il y avait juste à coté de cette espèce de grande surface où étaient exposés les meubles, un terrain de jeux pour enfants et plus grands. Ma mère joua un moment avec ma petite soeur sur les jeux pour enfants, tandis que je me tournais vers une balançoire plus grande. La balançoire était une longue planche en bois à laquelle était accrochée à chaque bout deux cordes. Il n'y avait rien pour se tenir.

A l'entrée du terrain il y avait une pancante : "Nous déclinons toute responsabilité en cas d'accident".

Au début, j'étais seule sur la balançoire, je me balançais doucement. Bien que sportive à l'époque (j'avais ma ceinture verte ou blleue - je ne me souviens plus exactement de la date à laquelle j'ai eu ma ceinture bleue - de judo, je faisais aussi de la natation, et j'avais eu 17/20 à des enchaînements de gymnastique au lycée), je n'étais pas téméraire. C'est pourquoi me rendant bien compte que cette balançoire ne pouvait pas aller vite sans que l'on s'envole vers l'avant, je me balançais doucement, heureuse, dans le vent, qui devait être une légère brise.

Tout à coup mes parents arrivèrent et dirent : "Bon, il y a un chemin là-bas derrière, on va se promener. Tu viens avec nous ?" Ils insistèrent. je refusais. En pleine "crise d'adolescence", je détestais cette promenade "du dimanche" (bien que l'on devait être samedi puisque le magasin de meubles était ouvert). Je détestais ces promenades du dimanche et des vacances, qui ressemblent à la peinture que l'on voit sur un tableau, de Conrad Ferdinand Meyer, je crois, intitulé "La promenade du dimanche" Mes parents par contre adoraient cette promenade pendant laquelle, ils montraient leurs "trois beaux et gentils enfants", qui étudiaient si bien en classe.

Ma mère m'avait bien dit "Mais si, viens avec nous, tu verras, c'est beau là-bas". Mais je préfèrais rester à me balancer  doucement sur cette balançoire où j'étais seule, laissant mes pensées planer vers de romantiques rêves marins. Ma mère me dit "Nous te laissons là, mais sois bien sage, fais attention aux garçons!" Elle ne pensait pas en disant cela que j'aurais du faire attention aux garçons d'une façon toute autre que celle à laquelle ils avaient pensé.

Mes parents avaient à peine disparu de la scène avec mon frère et ma soeur, que deux gamins d'environ 13, 14 ans, vigoureux, montèrent chacun à un bout de la balançoire et debout entre les cordages, la firent partir à toute volée, sans demander avant si je voulais descendre. Je sentis tout de suite une pression s'exercer sur mes bras que je mis devant moi pour ne pas partir en avant, et je me tenais comme je pouvais les deux mains tenant la planche de chaque coté, mes bras pliés sous la vigueur des envolées de balançoire. Je me disais que mes muscles allaient resister, mais j'étais quand même, tout à l'envers d'aujourd'hui, assez frêle. Je criais aux garçons d'arrêter, mais tout à leur jeu, ils ne m'entendaient pas, et soudain mes bras lachèrent prise, et ma tête partit en avant à la rencontre de la planche en bois. J'entendis un sinistre craquement du coté de mon nez. Mais je n'avais pas mal. Je restais un moment recroquevillée sur la planche de la balançoire, car les deux gamins ne s'étaient malgré ma demande réitérée d'arrêtre la balançoire, rendu compte de rien.

Je ne sais plus s'ils ont fait balancer la balançoire à toute volée jusqu'à ce que mes parents reviennent, ils ont continué ainsi pendant un moment, jusqu'à ce qu'ils quittent brusquement la balançoire pour aller jouer plus loin. Alors j'ai pu me relever et alors j'ai vu sur la planche un morceau de quelque chose de blanc, que je ramassais, c'était ce que j'avais entendu craquer, un morceau de mon incisive, juste sur le devant. Je descendis de la balançoire. Je ne me souviens plus si ma mère était déjà là, ou si elle est revenue un peu plus tard, en tout cas, ils revenaient de leur promenade, puisque personne ne les avait appelés.

Je me souviens m'être fait copieusement grondée : "Ah! Si tu nous avait écouté ! Si tu étais venue te promener avec nous, cela ne serait pas arrivé !" 

Et c'est alors que je me rendis compte, au moment où je remontais dans la voiture, mon bout de dent dans le creux de la main, demandant si on pourrait la recoller, que j'avais perdu mon beau sourire, que tout le monde vantait, et je me mis à pleurer en disant  "Mais, je ne trouverai plus jamais de garçon qui voudra de moi pour se marier... " (Ce qui ne s'est pas vérifié, car j'eus avant d'épouser celui qui est toujours mon époux, beaucoup de prétendants).  "Et ma correspondante allemande que je ne connais pas encore, que va-t-elle penser de moi?" C'est pourquoi, on me fit rapidement une dent à pivot, qui s'infecta dix ans plus tard, alors que j'étais déjà mariée et professeur, juste après ma réussite au stage de CAPES, et que l'on remplaça (tous frais à ma charge, ou presque, j'ai du payer deux mille francs* de ma poche, mon premier salaire mensuel de certifiée ayant été un peu plus de deux mille francs, le reste ayant été remboursé par la sécurité sociale et la MGEN), par un bridge, abîmant pour le poser deux autres dents de devant qui étaient saines, ce qui fut, je crois, encore plus pénible.

Financièrement parlant, mon père n'avait jamais demandé de dommages et intérêts au marchand de meubles qui était propriétaire du terrain à cause du panneau placé à l'entrée.

Et c'est depuis cette époque, il y a presque 40 ans, qu'il n'a plus fallu me parler, ni du village de Tournehem, ni de sa forêt. Ce village (je ne sais pas si c'est une ville, pour moi, dans mes souvenirs, car je ne suis plus jamais allée là-bas, c'est un village), ce village s'apella pour moi, Tournedent.

Le souvenir m'en est revenu aujourd'hui, en lisant sur les nouvelles qui étaient sur la page d'accueil de mon mail, qu'il y avait eu un nouvel accident à Tournehem, avec un manège, et 25 blessés, mes compagnons d'infortune. Je venais juste d'en parler il y a peu de temps, en disant à quelqu'un que j'avais surnommé ce village Tournedent. Un village que j'ai depuis toujours soigneusement évité sur la route de la mer, parce que j'ai pensé qu'il me portait malheur.

Aujourd'hui, quand je passe la langue sur l'arrière de mon bridge, qui est plus épais que ne l'étaient mes dents originales, je repense parfois à cet accident, mais je n'ai jamais pensé que comme disaient mes parents le bon Dieu aurait puni ma désobéissance.

domino

 

 

* Ce n'étaient pas des euros, heureusement.

 

Commentaires

Bonjour,
Magnifique récit. Je pense que tes parents auraient dû être plus fermes. Tu avais 16 ans certes mais ils étaient responsables car tu n'étais pas majeure. Ils auraient été tout aussi bien responsables si tu avais causé des dégâts à du matériel ou fait du mal à quelqu'un. Seulement, tu es la victime de ces garçons. C'est pour cela qu'à ton âge je n'aimais pas les garçons avec leurs jeux violents.
Je ne connais pas la ville de Tournehem. Je n'y suis jamais allée. Nous allions en Belgique dans notre enfance.
Bonne après midi.

Écrit par : elisabeth | lundi, 30 avril 2007

Moi, je pense qu'au contraire, si mes parents avaient été plus gentils, je les aurais écouté davantage. Mon père me laissait très peu de liberté, c'est tout juste s'il me laissait faire du sport, à part la piscine, car il nageait aussi, ça a été tout une histoire quand j'ai décidé de faire du judo comme mon frère. Si mes parents nous avaient laissé autant de liberté qu'en avait mes cousines, ou ma meilleure copine, on aurait écouté ce qu'ils disaient. Par ailleurs, nous n'avons jamais démoli quoi que ce soit, nous étions des enfants très soigneux, on ne démolissait pas les jouets comme les autres enfants; pense que à 14 ans, j'étais moi-même responsable de groupes d'Ames Vaillantes qui pouvaient aller jusqu'à 30 élèves de 8 ans, il y avait une responsable plus agée, mais elle supervisait le tout et prenait les grandes et nous laissait les petites de 6 à 9 ans (elles m'appelaient "domino"). Il y avait un décalage entre ce que je vivais dans ma vie scolaire et associative et ce que je vivais à la maison. A l'époque on était majeurs à 21 ans et depuis l'âge de 17 ans, j'étais à l'université sans la surveillance de personne, car il n'y avait pas d'appel et pourtant j'allais à tous les cours, parce que je voulais réussir. Et mon futur mari, que j'ai rencontré à l'âge de 18 ans et demi, aussi.
Dans cette histoire de balançoire, j'étais surtout la victime du responsable du terrain qui n'avait rien mis pour se tenir sur cette longue planche de plusieurs mètres de long.Il aurait du y avoit une espèce de T en fer, qui délimitait chaque place pour se tenir.
Je n'ai jamais connu les jeux violents des garçons, mon frère était très calme et les copains qu'il amenait à la maison étaent calmes comme lui, généralement ils venaient pour faire leurs maths ensemble. Quand il était petit, à son école, il devait y avoir des bagarres à la récréation parce qu'il revenait quelquefois avec des bleus et des coquards et ma mère allait voir l'institutrice pour voir ce qui se passait. Quand à moi, j'étais dans une école de filles et plus tard dans un collège et lycée de filles. La mixité n'existait pas encore, elle a commencé à être débattue avant 68, ma soeur est allée dans le même établissement qui était devenu mixte à partir de la seconde, je crois. Je n'ai donc jamais connu les "garçons violents" qui étaient dans les autres écoles. De la 4ème à la Terminale mon frère était dans un établissement pubic technique, mais ses copains étaient calmes. Ils étaient farceurs, mais pas méchants.
Nous aussi nous allions en Belgique, d'où nous habitions, la mer n'était qu'à 60 km en Belgique et à 80 km en France, et si on passait du coté de Tournehem, c'est en allant vers Calais. C'est dans l'Audomarois, la région de St Omer.
Je trouve que faire des reproches à un enfant qui a eu un accident, pas de sa faute vraiment, ce n'est pas très gentil de la part de parents ou d'enseignants. Cela culpabilise l'enfant ou l'adolescent et s'il en garde des traces physiques pour la vie (comme moi), à chaque fois que les traces lui rappellent l'accident il culpabilise alors que ce n'est pas de sa faute.
Quand nous avions un rhume, ma mère nous en faisait le reproche "Où as-tu attrapé cela? A l'école, chez tante Y (qui avait dix enfants dont au moins toujours un était enrhumé en hiver). Tante Y était le bouc émissaire pour tous nos petits rhumes et nos petites angines, même si on ne lui disait pas directement, on le disait à nous :" Tu n'as qu'à rester dans la salle à manger, plutôt que d'aller jouer avec eux quand ils sont enrhumés". A l'école, on aurait du se tenir loin des autres quand il y avait une épidémie et rester seul dans la cour !

Écrit par : do_mino | lundi, 30 avril 2007

Je suis quand même un peu vexée, quand tu me dis que nos parents auraient été responsbles si on avais cassé du matériel et causé des dégâts. Jamais, il n'a été question de cela à la maison, car nous étions des enfants naturellement calmes, on n'a jamais rien cassé, ni chez nous, ni chez les autres. Quand on jouait au ballon, on ne lançait pas le ballon vers les vitres, mais sur les murs, il faut dire aussi qu'il y avait beaucoup plus de murs autour des jardins que maintenant sur lesquels ont lançait la balle. Par contre, j'ai du m'occuper d'une histoire d"assurance pour un correspondant allemand qui avait cassé une vitre en jouant au foot avec le ballon, quand j'étais jeune prof. Mais c'était à la récréation dans mon collège et c'était ses profs à lui qui étaient responsables, car je n'avais pas à surveiller la récréation des allemands, mais c'est moi qui ai du m'occuper de la paperasserie et des (mauvaises) relations de mon administration scolaire d'alors avec l'Allemagne.

Écrit par : domi_no | lundi, 30 avril 2007

Erratum : "Si on avait..."

Écrit par : do_mino | lundi, 30 avril 2007

Je vois maintenant que tu as écrit, "faire du mal à quelq'un", je pesnse que là tu exagères, on n'a jamais fait de mal aux autres physiquement. Les vexer peut-être, mais tu le fais aussi maintenant. Même au judo, nous étions très souples, si bien qu'on ne se faisait pas mal et on ne faisait pas mal aux autres.

Écrit par : do_mino | lundi, 30 avril 2007

Je parlais de responsabilité au sens de : payer les frais. Car un enfant mineur n'a pas de revenus donc il ne peut pas rembourser les frais de l'accident. Je parlais au sens juridique.
J'ai connu la mixité à l'âge de 11 ans car dans ma petite ville du nord on n'avait pas le choix : le collège était public, pas de collège privé. Donc j'ai vu de près la violence des gamins...
Moi aussi je garde des traumatismes de l'enfance où l'on me faisait des reproches alors que j'étais trop petite pour être responsable de quoique ce soit. Ce n'est pas bien de culpabiliser les enfants alors qu'ils n'y sont pour rien.

Écrit par : elisabeth | lundi, 30 avril 2007

@elisabeth : Si tu te souviens que l'on te grondait, c'est que tu savais alors que ce que tu faisais n'était pas bien. Par conséquent, si tu recommençais, tu étais responsable, parce que tu savais très bien qu'alors tu faisais mal. Sinon tu n'aurais pas le souvenir de ces remontrances.

Écrit par : do_mino | vendredi, 04 mai 2007

Un petit bonjour en passant. Je te souhaite un bon week end.

Écrit par : elisabeth | vendredi, 04 mai 2007

@ elisabeth : coucou, moi aussi. C'est vrai qu'ayant repris le travail, je n'écris plus autant, et il y a moins de choses à se mettre sous la dent dans mon beulogue, euh! dans mon i-grimoire ! En effet, nous avons été vernis : le lundi de Pâques, deux semaines de vacances de printemps, et le week-end avec le pont du premier mai... on a repris le jour de mon anniversaire....

Écrit par : do_mino | vendredi, 04 mai 2007

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