vendredi, 29 avril 2016
Comme un vide..
Roman-théâtre
Du journal de Doofie, mon personnage de roman-théâtre, TZR d'allemand presque retraitée.
Vous savez ce que cela fait quand on reçoit un papier "retraite pour limite d'âge"? Cela fait un grand vide. Je ne suis plus prof, je n'ai plus l'idée d'aller dans une classe avec des presque enfants, des ados ou des jeunes, être devant le tableau et leur apprendre l'allemand.
Mais cela fait surtout un grand vide, comme quand vous avez passé un mois dans une autre région ou un autre pays, et que vous avez le mal du pays visité. Ou comme à chaque fois que je quittais un remplacement, je monte dans le bus qui s'éloigne du collège ou du lycée et j'ai envie de pleurer. Une fois, j'ai même pleuré deux fois, parce que après quelques jours, on m'avait rappelée pour le collège que j'avais déjà quitté avant des petites vacances. La collègue n'était pas revenue comme prévu. Le principal m'avait dit de ne pas revenir après les vacances de novembre et le mercredi, il me rappelle pour revenir... (la rentrée était le lundi).
Et aussi plus cette hantise que le téléphone sonne juste quand je vais avoir une série d'examens à l'université (c'était courant ou ça sonnait quand je passais les examens). Ne plus devoir rester près du téléphone toute la journée comme un médecin de garde. Ne plus me retrouver dans la balustrade des escaliers tellement ce téléphone me faisait sursauter. Qui va crier sur moi? "Alors, vous arrivez? Et quand?" J'habite à 80 kilomètres,.. avec le train, j'arriverai à quatre heures de l'après-midi! Qui va m'obliger à sortir tout de suite? Pour où? Pour combien de kilomètres? Vais-je devoir me lever tous les matins à quatre heures tapantes? Quels élèves? Comment serais-je reçue?
Bon, avec la demande de prolongation de carrière, peut-être qu'on va me rappeler dans un mois et que je ressentirais ce vide, cette angoisse de l'inconnu, cette impression de ne plus avoir de parapet, peut-être que quand on est dans l'enseignement on se sent comme dans un cocon...à nouveau dans deux ou trois ans... quand on me mettra une deuxième fois en retraite, en plus en étant TZR sur la fin de la carrière, je ne me suis plus attachée à un établissement, je ne me sentais plus appartenir à quelque part, sauf à ma maison et à mon université que je fréquente épisodiquement, puisque je suis par correspondance.
Maintenant, je n'appartiens même plus à mon administration. Si j'arrêtais mes études, vus qu'à part mon mari, le reste de ma famille ne s'inquiète pas s'ils n'entendent plus parler de moi, en étant TZR, j'ai perdu les amis de mon établissement où j'avais travaillé dix ans, je ne serais pas comme ces retraités qui venaient de temps en temps nous dire bonjour en salle des profs et qui s'y sentaient encore chez eux. Je n'aurais plus les stages de PAF, comme celui sur les nouveaux programmes que j'ai fait le 14 mars. Je me suis d'ailleurs demandée pourquoi on m'y avait convoquée. Une dernière occasion de revoir les collègues. De revoir la collègue que je voyais toutes les semaines pour jouer de la guitare dans les années 90. Et celle avec laquelle j'avais été en Allemagne.
Mais un grand vide quand même, cet impression d'avoir terminé quelque chose, d'être dans un immense paysage sans rien autour, Même mes études,je me demande soudain à quoi elles servent, m'en servirais-je un jour, vais-je mentir, faire comme si j'étais toujours prof, ou faire comme si je cherchais du travail..??? Pour justifier de mes études, que vais-je faire. Si, je vais faire la politique de l'éducation, la politique de la ville, l'écologie, le développement durable, mes études me serviront... il faut bien que je me persuade qu'elles me serviront à quelque chose et qu'elles serviront à la société.
Si je disparais demain, qui le saura maintenant? L'université? Les étudiants vont et viennent, s'inscrivent ou ne s'inscrivent plus, personne ne s'inquiète...
Les collègues? Qui s'inquiète? Quand j'ai dit il y a un an et demi à la prérentrée que j'avais fait des remplacements sur plusieurs établissements, que j'avais toujours été en route, cinq jours par semaine (plus le sixième pour mes élèves adultes du samedi), personne ne le savait. Si je n'étais pas venue à la prérentrée, personne ne se serait inquiété.
Parfois, on se dit : Tiens, qu'est devenu un tel? Par exemple, monsieur JeSaisTout, je lui ai téléphoné il y a plus de deux ans, avant on se voyait tous les jours ou presque. On était allés chez ses parents avant leur décès. Plusieurs fois, en allant à mes stages de guitare. On se connaissait bien. On ne sait pas s'il vit encore.Même aux réunions de profs d'allemand ou au stage, plus personne ne parle de lui. Il était parti habiter dans l'ancienne maison de ses parents. Je l'ai revu sur Google Plus, sa maison a changé. Moins d'arbres autour, les fenêtres du haut ne sont plus les mêmes, je me suis posée des questions.
Le collègue pour lequel on avait fait un discours, je l'ai revu une ou deux fois, puis plus du tout.
La collègue qui porte le même nom qu'une blogueuse connue ici. .. je l'ai revue une ou deux fois... la dernière fois dans une gare. Il faut dire que je ne sors plus beaucoup.
Les retraités, c'est comme cela, s'ils ont de la famille, ça va.. s'ils n'ont pas d'enfants et que le reste de la famille est loin, même si internet a permis de resserrer les liens -Je vois ma famille par internet - les retraités, cela va s'ils sont à deux, ou s'ils sont dans leur pays d'enfance, dans un village, par exemple, j'ai été dans une chorale où l'on chantait aux enterrements. Généralement, je n'y allais pas parce que c'était en semaine et que je travaillais, mais à la répétition, on disait, mais oui, tu ne le/la connaissait pas, il/elle habitait à tel endroit, c'est la mère ou le père de .., il était cantonnier, facteur, menuisier... c'était la femme du boulanger... Bon, c'est triste de se souvenir des gens seulement quand ils meurent.. ils faudrait s'en souvenir quand ils sont encore vivants, se renseigner s'ils sont encore là, aller leur dire bonjour (pas avant que j'aurais bien rangé ma maison, mission presque impossible...)
Bon, je ne sais pas.. Même les études, cela me semble soudain dérisoire, je me redonne des motivations... Schnelly s'est mis à pleurer, je l'entends d'ici, mais je ne sais pas pourquoi... il pleure souvent alors que quand il travaillait, il ne pleurait jamais. Et moi, je pleure aussi... je ne sais pas pourquoi... le vide... la plaine immense et vide... les barrières qui tombent autour de cet espace libre... l'impression de ne plus appartenir à quelque chose ou à quelqu'un d'invisible, l'administration. Mais des couperets qui s'éloignent : l'inspection, la note administrative, les convocations dans les bureaux des principaux et des proviseurs, le fait qu'on se sent coupable du maque de travail ou de l'énervement de quelques élèves (dans les classes, il y a toujours des élèves qui travaillent moins que les autres), alors que ce n'est pas nous qui ne travaillons pas ou qui ne faisons pas attention. Je veux plutôt dire, le fait que l'on nous rend coupable des bêtises et de la paresse des autres... Des personnes peu sympathiques qui s'éloignent... l'indifférence du corps professoral du collège de rattachement qui te laisse choir le jour de la prérentrée... qui restent en petits groupes fermés en train de raconter leurs vacances, et de parler de leurs enfants...
Bon, l'agréable et le désagréable s'en vont... mais aussi l'espèce de cocon, le fait d'être fonctionnaire, 'avoir la sécurité (est-ce que j'ai la sécurité en tant que retraitée? Quand toucherais-je ma retraite? Suis-je encore quelqu'un? Quelle est ma place dans la société? Que vais-je avoir le mois prochain? Ma retraite sera-t-elle déjà payée? Combien?), Schnelly va-t-il encore dépenser autant pour manger, si je n'ai plus rien ou plus rien le temps que la retraite soit réglée? Il va devoir me donner une partie de sa retraite si je n'ai rien. Payer mes droits universitaires? (Même pour l'agrégation, ils n'ont jamais été payé par d'éducation nationale, je n'ai jamais été en congé-formation, alors qu'ils étaient donnés de façon répétitives à certains de mes collègues).
Et puis voilà... le vide devant moi... l'impression d'avoir passer une porte de sortie... J'étais chez mes parents, dans la maison.. Je suis entrée par la porte d'entrée dans une autre maison avec beaucoup de monde... Et je sors par l'autre porte,celle du jardin, et je me retrouve devant une immense plaine vide.. et je pleure en quittant cette maison... comme je pleurais quand je revenais de vacances, quand je finissais un stage de musique, quand j'ai quitté la résidence universitaire d'Europe Centrale où j'avais passé deux fois trois semaines, dans le taxi qui allait à la gare... quand on quitte, on pleure toujours... Même quand on quitte un lieu qu'on n'a pas forcément aimé..; dans ce collège, j'avais passé un an aux CDI et j'avais refoulé mes larmes quand ma collègue a baissé les persiennes et ne m'a pas laissé la clef ce dernier soir où nous sommes parties en vacances... car je ne voyais plus les arbres au bord du stade, ce petit bout de verdure.
Mis à part mes jambes qui ont du mal à me supporter au sens physique du terme, je me sens jeune... mon esprit n'a pas changé... je me sens aussi jeune, je peux toujours apprendre, j'ai gardé un QI (hi hi ça vous fait rire) excellent, que beaucoup de jeunes m'envieraient. Je me sens toujours jeune.. si mes jambes pouvaient de nouveau marcher normalement.. je serais encore très jeune, je pourrais revivre et refaire une deuxième carrière de quarante ans, une deuxième vie, en faisant croire que j'ai vingt ans..
Je pourrai faire encore beaucoup de choses, écrire (les chanteurs font des carrières jusqu'à 80, 100 ans, Pete Seeger a chanté jusqu'à 100 ans, Segovia a fait des concerts jusqu'à 90 ans..). On part en retraite trop tôt.
Bon, vous pourrez toujours suivre mes blogs, suivre mes chansons pour ceux qui savent où...Suivre mon activité musicale...
Moi, Dummie et les autres.. On ira encore souvent prendre le thé les unes chez les autres.. et on ira en vacances au bord de la piscine sur le camping, là où l'on voit la mer scintiller entre deux collines et on vous racontera nos petits malheurs quotidiens et on parlera des petits heurs et malheurs de nos études... Jamais en disant les vrais matières, parce qu'on ne sait pas si le harcèlement dont nous avons été victimes (surtout Bêtie qui était restée dans son académie) continuera pendant notre retraite...
Doofie
.....
Pour Doofie,
domino
20:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
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