vendredi, 24 février 2006
De l'infiniment grand....
Les enfants se posent parfois des questions philosophiques auxquelles les adultes ne répondent jamais. Je me posais ce genre de questions alors que j'étais très petite. environ six ans. Et même plus tôt... Quand je n'avais pas encore 4 ans, j'aurais du avoir une petite soeur, nommée Pascale, parce qu'elle devait naître à Pâques. Mais elle n'est pas née. On allait dans le cimetière au carré des anges, où il y avait une petite croix peinte en rose.
-Dis maman, où est la petite soeur? Elle est au ciel ?
- Non, elle est dans les limbes?
-C'est quoi les limbes ?
-C'est un endroit où il n'y a rien.
-Et pourquoi elle n'est pas au ciel, elle n'a rien fait de mal...
-Parce qu'elle n'est pas baptisée.
-Et si elle avait été baptisée?
-Elle serait allée au paradis.
-Comment on peut être dans un endroit où il n'y a rien ?
-Avant la naissance, on n'existe pas.
-Mais maman, c'est imposssible, on a toujours existé, on ne peut pas ne pas exister. Donc, moi, avant ma naissance, je n'existais pas ?
-Non...
-Mais ce n'est pas possible. Je suis sûre que j'existais.
-Non, tu n'existais pas. Il n'y a que Dieu qui est éternel. Nous, on est immortel.
-Donc, on existera après ?
-Oui, si tu es sage, tu iras au ciel. Si tu fais la sourde oreille quand je t'appelle pour le repas, tu iras au purgatoire, et si tu es méchante, tu iras en enfer.
Et on ne posait plus de questions. Deux jours plus tard, on disait...
- Mais ma petite soeur qui est dans les limbes, elle n'existe plus?
-Non...
-Elle est où ?
-Dans le vide, dans l'espace...
Un grand frisson me saisissait, j'imaginais l'espace, tout noir, et ma petite soeur qui planait dans l'espace.
-Elle est avec les étoiles, la lune et le soleil?
-Non, elle est où c'est tout noir.
-Mais elle n'existe pas ?
Je n'arrivais pas à me représenter cela. Ne pas exister. Ma naissance, c'était 4 ans avant. J'avais l'impression que c'était déjà une éternité (Il paraît que l'espace-temps se réduit avec l'âge). Et avant, je n'existais pas ? Non, ce n'était pas possible.
Les soirs d'été (et cela m'a duré jusqu'à l'âge de 12 ans), quand il y avait une brise légère, je sentais très loin dans le vent une autre existence que j'avais eu avant. C'était comme si j'avais été un brin d'herbe qui frissonait dans la brise fraîche, comme si j'avais été un roseau, un insecte, une libellule, très loin dans ma mémoire il y avait quelque chose qui me faisait frissonner et je me sentais légère, légère, et j'étais tout simplement dans ma solitude face à l'infini du temps, face à l'éternité, quand arrivait cette brise des soirs d'été, heureuse.
Je me souviens, à 10, 11 ou 12 ans, assise sur les marches de la porte-fenêtre de la nouvelle maison, avoir ressenti encore une fois, cette autre existence qui avait précédé la mienne dans l'infini de la quiétude vespérale. Et avoir été heureuse.
Puis je montais dans ma chambre et dans le noir, je sentais l'espace infini. La terre tombait dans l'espace à une vitesse vertigineuse et je sentais sa vitesse, je la sentais tourner et partir dans un espace infini avec tout le système solaire, la voie lactée et notre galaxie. Il n'y avait plus de terre ferme. La terre qui portait les hommes voyageait dans l'espace infini. Je ne posais plus de questions aux autres. Il ne savaient pas les réponses. Je me disais : qu'est-ce l'infini? L'infini ne finit jamais. on ne parlait pas encore de limites de l'univers. Pour moi, l'univers n'avait pas de limite. Il y avait toujours quelque chose. Dans l'espace et dans le temps. Mes parents, mes institutrices, mes professeurs, les abbés, les curés disaient que c'était Dieu. Et moi, je cherchais autre chose, quelque chose de palpable, de physique, un infini espace, un infini temps meublé de présences humaines...
Il y avait aussi l'infiniment petit. Quand j'étais petite, l'infiniment petit était très proche. Je mettais mon nez dans l'herbe et je voyais les insectes, les coccinelles, à ma hauteur. Je froissais des feuilles et des pétales de fleurs sous mes doigts ou je touchais des papillons qui se décoloraient. Dans la cour de l'école, on enlevait la chair des feuilles de marronniers pour en faire des araignées. La nature était toute proche, à hauteur d'enfant, l'infiniment petit aussi.
L'infiniment petit, petit comme nous, ne faisait pas peur Mais l'infiniment grand...L'espace infini qui ne finit jamais et que plus tard en mathématiques on a représenté simplement par un signe. La fonction qui tend vers l'infini...L'infini était devenu une abstraction mathématique et il avait perdu sa valeur sensible, sa valeur philosophique, existentielle, celle que toute petite je pouvais sentir d'un simple coup de pensée, en me transportant dans la représentation sensible de l'infini temps et de l'infini espace comme si j'y étais.
En classe de Terminale, il était trop tard pour faire de la philo. Ma philo, je l'avais faite seule toute petite en regardant une croix rose dans le carré des anges, alors qu'on me parlait des limbes. Ma classe de métaphysique, je l'avais faite entre 4 et 12 ans. En philo, on enfonçait des portes que j'avais entrouvertes dès l'âge de 4 ans.
C'est peut-être la faculté des enfants qui ont connu le néant d'un être qui selon nos parents était mort sans avoir existé, de pouvoir se transporter dans l'infini de l'espace et du temps.
Comme toutes les petites filles, je voulais être une princesse, je ne connaissais pas le Petit Prince. Si un fennec s'était présenté sur mon chemin pour me répondre, je l'aurais aimé.
domino
03:15 Publié dans La Philosophie de l'i-grimoire, Les Mémoires d'une i-grimoirienne | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Les enfants ont une façon de penser, je pourrais dire, simplifiée par rapport aux grandes personnes. On est tout neuf quand on a 4-5 ans. On pose des questions qui pourraient sembler bêtes mais qui permettent d'avancer petit à petit dans la compréhension du monde qui nous entoure. Ma petite fille qui a eu 5 ans le 31 octobre, me demandait si j'avais une maman et un papa. Alors je lui ai montré des photos. Je lui ai aussi montré les photos de mon frère et de mes soeurs. Plus tard, elle a demandé à mon mari et à moi : vous vous embrassez quelquefois tous les deux dans la chambre ? Elle a éclaté de rire en disant un jour à table où nous étions 5 (avec mon fils, ma fille) : Papy, tu es toujours amoureux de Mamie !
Écrit par : elisabeth | vendredi, 24 février 2006
Les commentaires sont fermés.